Marcel Marceau : Un artiste silencieux ?

L’histoire du mime n’est pourtant pas sisilencieuse. En effet, elle nous enseigne qu’à l’origine, dès la Grèce antique, l’artiste s’exprime sur scène aussi bien par la voix, que par des mouvements de son corps et de ses bras pour accentuer la théâtralité de son texte. Le mime grec est notamment utilisé avant chaque représentation au théâtre d’Athènes pour enseigner de petites leçons de morale. Si la première fois qu’une performance de mime se fait silencieuse pour l’artiste, c’est à cause d’une extinction de voix. Le poète Livius Andronicus, alors en pleine représentation, demande l’autorisation au public de placer devant lui un récitant tandis qu’il illustre les vers par des gestes ; nous sommes à Rome, vers 240 avant JC. Le mime reste cependant un art parlé. L’avancée du christianisme interroge le langage employé par les artistes de mime : un argot défini par sa connotation érotique et un vocabulaire scabreux. Les spectacles sont jugés indécents, aussi bien par Charlemagne (742-814), qui prend la décision de chasser les mimes de son Empire, que par l’Église dont les conciles interdisent leur performance. La gestuelle, ou mimique, s’impose dès lors à la parole.

L’importance des gestes se multiplie quand des troupes de théâtre italiennes arrivent à Paris dans les années 1570. Le succès rencontré pousse certaines compagnies à s’installer définitivement dans la capitale française. Leurs spectacles sont identifiés sous le terme de Comédie-Italienne, dans le registre de la Commedia dell’arte. La comédie proposée associe l’improvisation, la matière littéraire et la farce populaire. Le jeu est basé sur l’identification d’un certain nombre de personnages, qui passe par les costumes et le masque. Ce dernier cache le haut du visage et reporte le jeu sur l’expression corporelle : la mimique se fait langage et danse.

Le succès populaire grandissant du théâtre italien inquiète la Comédie-Française. Cette dernière permet la fermeture de leurs lieux de représentation. Le registre de la pantomime est alors transféré au théâtre de foire. Dès 1701, les interdictions se multiplient et obligent les artistes étrangers à ne plus danser ni parler sur scène. Alors le fait principalement de troupes italiennes, le mime devient silencieux. Cette tradition du silence est reprise par les artistes français au 19ème siècle. L’art du mime, réinventé par Marcel Marceau, se caractérise par la connaissance du passé. Pour autant, la nature silencieuse de l’homme et de sa performance artistique est-elle valable ?

Marcel Mangel est né le 22 mars 1923 à Strasbourg, dans une famille juive. Son père tient une boucherie casher et déplace son commerce dans plusieurs villes, jusqu’à Limoges en 1941. Marcel suit dès lors les cours de l’Ecole Nationale des Arts décoratifs et développe un goût pour le dessin, qu’il utilisera tout au long de sa vie pour illustrer sa correspondance et deux albums jeunesse. Il met son talent artistique au service de la Résistance, en tant que faussaire et passeur d’enfants juifs qu’il sauve ainsi de la fureur nazie. La participation à la Résistance pour un jeune homme juif est-elle un acte de silence ? Depuis tout petit, Marcel aime amuser sa famille et ses cousins lors des vacances d’été passées en famille. Des photos ont été publiées, montrant un enfant costumé pour imiter le Charlot de Charlie Chaplin découvert au cinéma. Il veut faire rire à tout prix, mais les photos ne nous disent pas si l’usage de la parole accompagnait ses numéros de pantomime. En 1943, traqué par la Gestapo, il prend le nom de Marcel Marceau et se réfugie à Paris où il intègre l’école de théâtre de Charles Dullin. Il y rencontre Étienne Decroux, enseignant sa grammaire du mime corporel dramatique, puis Jean-Louis Barrault. Ce dernier l’invite à rejoindre la compagnie qu’il a montée avec Madeleine Renaud en 1946. Pour son premier rôle au théâtre, Marcel joue le rôle d’Arlequin 1 dans la pantomime Baptiste, d’après le film Les Enfants du Paradis de Michel Carné (1945).

Son aventure du mime débute par la création de son personnage Bip en 1947. « Cependant, pour faire renaître le mime, il me fallait surtout inventer un personnage, car c’est le personnage qui fait la légende, c’est autour de lui que gravite une troupe. Alors Bip est né. » C’est ainsi que Marcel résume la naissance de celui qui deviendra son alter ego. Cette citation, comme ce bout d’histoire de la vie de Marcel Mangel/Marceau, nous est parvenue grâce à une littérature importante sur l’artiste. Elle a été largement alimentée par les nombreuses interviews données par l’artiste dès les années 1970, quand son succès international commence petit à petit à être visible en France. Il a livré ainsi des mémoires partielles auprès de différents auteurs ; on citera notamment les travaux de Guy et Jeanne Verriest-Lefert en 1974 avec Marcel Marceau ou l’aventure du silence et de Valérie Bochenek en 1994 avec Le mime Marcel Marceau, entretiens et regards. Cette période, c’est aussi le moment où Marcel se tourne vers la transmission pédagogique à grande échelle, avec l’ouverture le 15 octobre 1969 de son école de mime au Théâtre de la Musique. Il obtient ensuite des financements de la ville de Paris, qui lui permettent d’ouvrir en 1978 l’école internationale du mimodrame. L’école a été un outil important pour faire parler du mime, de l’héritage artistique de Marceau, mais aussi, tout simplement, pour faire parler l’artiste. De nombreux festivals en France se donnent pour objectif de parler des arts du mime et du geste. Ceux-ci véhiculent une certaine histoire du mime, liée à une ville et des pratiques artistiques, et sont vecteurs de modernité. Le premier d’entre eux, Mimos, fut créé en 1982 à Périgueux sur une initiative d’un couple de fervents admirateurs de Marceau.

L’art du silence est avant tout l’art de ne pas parler. Marcel Marceau ne parle-t-il pas au spectateur quand il joue un mimodrame ? Pour lui, « le mime n’est pas un art silencieux. c’est l’art de toucher les gens ».

Le mime c’est : « la représentation d’un univers vivant de formes, de formes de vie, de métamorphoses de vie ». On ne peut cependant pas négliger l’importance du silence dans sa pratique artistique, mais en parler n’est-ce pas faire grand bruit ?